Point de Départ

L’Oniroscope est un projet qui prend son fondement sur les méthodes et les résultats de deux différents parcours:

1. La recherche ethnographique d’Arianna Cecconi

Les rêves, l’imaginaire, les formes de transmission de la mémoire, les procédés de ré- élaboration de la violence, ont été les principaux objets des recherches menées sur différents terrains – Andes péruviennes, Espagne, Italie, France - par l’anthropologue Arianna Cecconi.
Son intérêt pour le rêve est né au cours d’un long séjour ethnographique (2004 2008) au sein de plusieurs communautés paysannes des Andes péruviennes. Dans ce contexte, les rêves sont considérés comme autant de révélations et de sources d’informations dont l’influence et l’inspiration se répercutent directement sur une large partie des pratiques quotidiennes.
Lors de sa thèse de doctorat en anthropologie Arianna Cecconi a exploré le mouvement circulaire qui s’instaure entre les narrations oniriques, l’imaginaire collectif et les pratiques sociales, montrant comment les rêves peuvent, dans certains cas, être considérés comme des « sismographes qui enregistrent les effets des événements historiques, dans l’intériorité de chaque homme » (Beradt 1984). Dans les communautés des Andes, le rêve apparaît de fait comme le lieu de la mémoire collective, où se mêlent les traces laissées par l’époque des grands propriétaires terriens (Haciendas) avec celles de la guerre civile qui a touché le Pérou dans les années 80 – 90, entre le mouvement maoïste « Sentier Lumineux » et les forces armées d’état.

En 2009 Arianna Cecconi a continué ses recherches sur les rêves en Europe. D’abord en Espagne où elle a enquêté sur les relations entre les rêves et l’actuel procédé d’exhumation des fosses communes datant de la guerre civile. Lors de cette recherche, l’objectif était d’observer comment la mémoire des événements historiques et le phénomène d’exhumation se reflètent dans la dimension onirique Elle s’est ensuite proposée d’étendre son étude comparative des rêves à d’autres contextes méditerranéens. En Italie, elle s’est particulièrement intéressée aux relations entre le rêve et la politique, et actuellement à Marseille, à l’occasion d’une résidence à l’Imera ( Institut méditerranéen d’études et de recherches avancées d’Aix-Marseille), elle mène, dans les quartiers nord de la ville, une recherche sur les diverses conceptions, interprétations et pratiques liées aux rêves. Cette recherche permet également la prospection d’éléments qui permettraient d’étudier les dynamiques identitaires liées à l’expérience de la migration caractérisant la vie et l’histoire de ces quartiers. Dans les Andes péruviennes, l’importance du rêve est socialement reconnue, et multiples sont les occasions d’en parler publiquement. Par contre dans les contextes européens, les espaces de partages collectifs du rêve sont beaucoup plus réduits. Les rêves sont considérés comme des expériences psychologiques individuelles séparées de la réalité, malgré leurs contenus oniriques révélant une intime relation entre la vie et l’imaginaire social. C’est de la volonté d’approfondir la relation entre le rêve et la société et d’éxplorer de nouvelles méthodologies de recherches, qu’est née la collaboration avec l’artiste Tuia Cherici.

 2. La démarche artistique de Tuia Cherici liée aux rêves
 Depuis 1999, à travers l’implication de nombreuses techniques artisanales d’animations, Tuia réalise des œuvres vidéo, qui puisent souvent leurs inspirations dans ses rêves nocturnes. Au delà de l’anecdote qui conduit la forme dramatique du rêve, c’est sa forme expressive qui retient toute l’attention de l’artiste, s’intéressant plus particulièrement aux modes par lesquels sont induites choses et personnes lors d’apparitions et de transformations successives, qui révèlent et relèvent leur puissance évocatrice. En 2011, elle commence à collaborer avec Arianna Cecconi dans l’intention d’étendre certains aspects de cette pratique. De fait, si grâce au Manucinema l’artiste peut exprimer, à un public sensible à l’art, l’expression symbolique de son imaginaire dans l’impact avec la réalité, c’est à travers la synergie avec l’ethnographie d’Arianna Cecconi, qu’elle réussit à toucher des publics et à accéder à des contextes très variés. Cette collaboration aménage à l'art un rôle prépondérant dans la recherche scientifique. Elle lui permet ainsi, la possibilité de dépasser sa fonction de divertissement pour lui faire atteindre un engagement dans la vie sociale qui n'est plus seulement symbolique. Dans ce projet le cinéma de Tuia Cherici s’enrichit d’objets, d’histoires et de contenus oniriques du public et des groupes auxquels il s’adresse. Sur le pouvoir symbolique des objets réels et ses liens avec l’imaginaire onirique Cherici et Cecconi ont mis au point un dispositif qui favorise le partage collectif des rêves: L’Oniroscope, expérience participatif de partage, création et collecte des rêves.

Oniroscope se propose d’explorer les histoires,les mémoires,les émotions,

l’imaginaire, les perceptions, les connaissances, les expériences et les pratiques

relatives au rêve nocturnes dans divers contextes méditerranéens.


Si, d’un côté, l’approche ethnographique permet de faire émerger le patrimoine

onirique d’une communauté, dans ses aspects communs et dans ses différences

(culture, origines, genre, âge, profession, religion etc.) d’un autre côté, la pratique

artistique, en explore les formes, les perceptions, la puissance expressive, en

suivant de nouvelles formes de transmission, ainsi que des instruments

d’expressions appropriés pour les partager.


Le mélange des deux approches est lui même objet d’expérimentations et

d’analyses :

les données qui émergent de ce projet conservent donc cette double nature, et

offrent deux trajectoires de réflexion, différentes mais complémentaires.


Un des objectifs fondamental de ce projet, est de créer des occasions d’échanges

sociaux autour du rêve. Il se développe à travers des phases de recherches

ethnographiques, de réalisations en ateliers multidisciplinaires, de performances

et d’expériences publiques participatives.


Un autre objectif d’importance de ce projet, est d’offrir, à travers l’archivages de

documents recueillis et créés, un panorama multiculturel et multi disciplinaire sur

les rêves, comme patrimoine imaginaire collectif d’un territoire donné.

De fait, nous pensons qu’il est intéressant de pouvoir retracer dans le temps, une

physionomie de la Méditerranée d’un point de vue historique, sociologique et

esthétique, au travers de lieux, de personnes, de faits historiques,de relations

familiales et de travaux, rêvés par ses habitants.


Le matériel recueilli lors de ce projet, jusqu’à aujourd’hui, se compose :

d’enregistrements audio et vidéo d’entretiens, de transcriptions et enregistrement

de rêves, de documentation audio et vidéo des ateliers réalisés sur le terrain

(Milan, Bologne, Florence,Helsinki et Marseille), d’œuvres plastiques et visuelles

de Tuia Cherici, et d’images, de dessins et de travaux réalisés par les

participants des ateliers.